Le Passe Muraille

Dernières nouvelles de l’humanité

À propos de L’Habitude d’aimer et de Notre amie Judith de Doris Lessing,

par JLK

Les nouvelles que Doris Lessing nous envoie de l’ humanité ne sont pas roses, et pourtant c’ est avec une espèce de gratitude amicale que nous en prenons connaissance. Peu d’écrivains contemporains parlent aussi bien de la vie, comprennent les destinées individuelles avec autant de sensibilité, dégagent les thèmes d’une réflexion sur la société avec autant de justesse intuitive et  d’intelligente perspicacité.

Doris Lessing connaît donc la musique de la vie. On ne la lui fait pas. Et de même ne nous dore-t-elle pas la pilule. Il arrive un peu de tout dans ces récits, à un peu n’importe qui. Mais qu’on se garde de penser que notre vieille lutteuse des causes perdues, communiste à vingt ans et plaidant cinquante ans plus tard pour les Afghans, nous raconte n’importe quoi. Ce qu’elle nous chante le plus souvent, c’ est le blues des cœurs blessés, mais sans trémolo sentimental, et avec cette espèce d’ humour terrible qui est celui-là même de l’existence.

Ainsi de la dérive de Susan Rawlings, dans La chambre 19, Susan qui aurait tout pour être satisfaite, comme on dit, avec mari cossu et villa cosy (ou l’inverse), beaux enfants et tutti quanti, nourrit un rêve secret qui la claquemure dans une affreuse chambre d’ hôtel à la Simenon. Ainsi de la subite crise de lucidité frappant tel brillant journaliste-écrivain de la toute bonne «Vieille garde» socialiste anglaise, dans La tentation de Jack Orkney, que la mort de son père confronte, via le regard de ses grands enfants, à ce qu’il est bourgeoisement convenu d’appeler les «questions essentielles». Ainsi de la chaotique existence de Rose, dans L’autre femme, que la mort absurde de sa mère puis les aléas d’un bombardement poussent à se raccrocher à un garçon velléitaire déjà partagé entre deux ou trois autres dames.

Une fois encore cependant, ce sont beaucoup plus que des «tranches de vie» que ces nouvelles. Car en dépit de ce qu’elle a d’ incessamment imprévisible, la vie révèle, à qui la ressent en poète, une sorte d’ harmonie et une sorte de vérité qui commande finalement l’espèce de poésie et l’espèce de sagesse qui se dégage des récits de Doris Lessing.

JLK

Doris Lessing, L’ habitude d’ aimer et Notre amie Judith, nouvelles traduites de l’anglais par Marianne Véron. Albin Michel, 1992 et 1993.

(Le Passe-Muraille, No 8, juillet 1993)

 

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