Calvinisme et réprobation
À propos du Traité des reliques en particulier et des Oeuvres de Calvin en général,
par Christophe Calame
Notre grande histoire littéraire romande est en miettes: les ruptures y sont trop nombreuses. Chez nous, tous les événements européens ont éclaté comme des bombes. La Réforme n’a pas voulu seulement réformer notre Moyen Age, mais véritablement l’éradiquer.
Prenons le pèlerin enchanté qui déambule sur le grand chemin médiéval des reliques, vagabondant avec de bons copains de joyeux hospices en confortables couvents, pour réconforter sa foi au spectacle édifiant des hydries remplies du vin des Noces de Cana, de l’authentique serviette avec laquelle Jésus lava les pieds de ses disciples portant encore la trace du pied de Judas, sans parler de la forme des fesses du Seigneur dans la cathédrale de Reims (puisque tout le monde sait que Jésus était secrètement revenu aider les bâtisseurs à achever leur portail).
Quant au lait de la Vierge, notre bienheureux pèlerin l’aura à chaque étape car, selon Calvin, «Il n’y a si petite villette ni si méchant couvent de moines ou de nonnains où l’on n’en montre. Tant y a que si la sainte Vierge eût été une vache et qu’elle eût été nourrice toute sa vie, à grand’ peine, en eût-elle pu rendre telle quantité». Mais les pantoufles de Saint Joseph à Trêves, le braquemart de Saint Michel à Carcassonne, la cervelle de Jean-Baptiste à Nogent-le-Rotrou, la graisse du grill de Saint Laurent à Rome, et j’en passe.
Et si l’on entreprend, comme le fait Calvin dans son Traité des reliques, d’en faire bon registre et dénombrement, on ne tardera pas à trouver en Chrétienté quatre fers pour la sainte Lance, quinze doigts pour Jean-Baptiste, deux têtes de Saint Sébastien, trois corps de Saint Matthieu, et «Touchant la couronne d’épine, il faut dire que les pièces en ont été plantées pour reverdir, autrement je ne sais comment elle pourrait être ainsi augmentée».
Une telle géographie n’est pas celle du pèlerin qui se suffit largement d’une émotion tendre par jour, et se contente volontiers dans une petite ville d’étape de quelque saint Innocent, ou pour un soir de quelque représentante des onze mille vierges.
L’exigence calviniste est sans tendresse pour l’esprit et les sentiments humains, si humains, alors que l’homme a «totalement déplu à Dieu comme s’il eût été son ennemi spécial et adversaire, jusqu’à dire qu’il se repentait de l’avoir fait», parce que «…le malheureux voulant être quelque chose en soi-même incontinent commença à oublier et méconnaître d’où le bien lui venait».
Pas facile de tenir la position prophétique de la colère divine et de la nullité absolue de toutes les vertus humaines, surtout pour Calvin, traducteur du traité de Sénèque sur la clémence ! La véritable révolution de Calvin, c’est l’invention d’une culture de la réprobation en remplacement de celle de l’adulation, invention dont nous continuons de suivre aujourd’hui les très intéressants effets dans l’art, la politique et les médias.
(Fallait-il vraiment nous imposer avec les joyaux stylistiques que sont la préface de la Bible ou le Traité des reliques, ce fatras qu’est la traduction de l’Epître à Sadolet, traduction dans laquelle Calvin n’est pour rien, ce qui n’est pas le moindre de ses péchés, avec la déligitimation radicale du pèlerinage auprès de nos employeurs ?)
Ch. C.