Au monde je dis bonne nuit…
À propos de Revenez chères images, revenez,
de Rose-Marie Pagnard
par PierreYves Lador
Un roman policier ? Pour le moins le scandale du meurtre ou de l’accident non élucidé d’une jeune fille, Myriam, élève de chant au Conservatoire, morte avant ses parents! Pas d’inspecteur, mais un rapport de l’auteure, mis en abîme par une ou deux adresses à un directeur du musée national du nom de Noble (Edelman), sur un peintre célèbre nommé Merveille (Wunderling) et père de la jeune morte. Le peintre a fermé sa porte durant un an de deuil et l’on peut croire qu’il ne travaille plus alors qu’il n’a cessé de peindre, son épouse parle aux morts, il le sait, comme il sait que l’imaginaire peut être une fuite ou une porte vers la réalité.
Ambauen, écrivain au nom de constructeur, est un réparateur, un lanceur de passerelles, c’est lui qui va déclencher, avec ses bonnes intentions, le processus de réparation. C’est lui qui prend l’initiative de demander au peintre de laisser copier certains tableaux pour servir de décors à une fête des sociétés du village dont le thème est l’illusion. Le peintre décide alors de réaliser des décors ad hoc gratuitement, de retourner vers ses semblables, et cela permettra de résoudre le mystère de l’accident.
Le village et l’artiste communiquent d’étrange façon. La première rencontre entre Hewa Wunderling et Fiora Duc, l’épouse du paysan multimillionnaire, est faite d’incompréhension, de confusion, par exemple entre les mots coeur et choeur. Tout, dans cet univers, qui n’est pas malentendu est maladresse, sauf le travail intense de l’artiste au sens large. Le monde des vivants et des morts, du village et de l’art, de la réalité et des illusions, des intentions et des distractions, tout est accident et pourtant le monde bouge, l’histoire avance, les mystères s’éclairent et les choses se mettent en place.
Si on a si fort le sentiment d’une écriture magique, féerique qui met en scène des personnages étranges et des décors fantastiques (ceux du théâtre, les souvenirs du cirque, Ania l’enfant étiquetée anormale, à la sincérité visionnaire, la scène de la fête et celle des incendies mimés), d’une irréalité profonde, c’est que tout concourt merveilleusement, grâce à l’inspiration de la narratrice et sans doute surtout à une espèce de destin plus fort que toutes les intentions ou tous les gestes des protagonistes, à cette réparation essentielle.
Tous les thèmes, toutes les images, fussent-elles tirées de l’environnement techno-économique comme l’apparition de la montre céleste enrichie de saphirs, « un objet d’une extrême pureté de forme et de couleur, féminin et sauvage, masculin et léger… brillant avec naturel dans l’odeur d’étable qui flottait autour de Duc» le paysan bossu (la bosse ne porte-t-elle pas chance ?), comme les chevaux de la calandre de la voiture de collection qui ont dévoré Myriam, comme la lecture du neurobiologiste Antonio Damasio, concourent à l’enchantement et participent de la transmutation poétique, esthétique de la réalité, non sans faire sourire parfois.
Même le paysan dira qu’on n’a pas besoin de décor pour la soirée annuelle… chaque chant est un troupeau d’images », et c’est bien de cela qu’il s’agit, croire à son esthétique, à ce qu’on fait, sans se laisser perturber ni par le jugement ou le goût de l’amateur, ni du professionnel.
Et respecter ces autres, nos voisins, dont on ne comprend pas bien ce qu’ils cherchent, ce en quoi ils croient. Ce bref roman, à la construction serrée, situé dans un microcosme rendu avec acuité, dense, grave et léger, enchanteur, riche en images, à l’écriture poétique, dont les préoccupations esthétiques n’empêchent pas l’humain, le bonifient en l’irriguant peut-être, m’a émerveillé. La création est un remède à la souffrance, et la lecture?
P. Y. L.
Rose-Marie Pagnard. Revenez chères images, revenez. Editions du Rocher, 2005, 145 pages.
(Le Passe-Muraille, No 69, Août 2006)