Paranoïd -19 et pyrotechnie
Rorik Dupuis Valder
24/08/2020
Au bal masqué ohé ohé… Au mal basqué ohé ohé… Le Téléviseur t’a dit de commencer à creuser. La tombe de tes gosses. Par sécurité. Et tu t’y es collé illico, espèce de dégénéré. Creuse, creuse encore. Là, on y est. Laisse-toi glisser maintenant. À la niche, tes papiers, pas bouger. Par devoir de solidarité, hein. Qui es-tu, toi, pour oser douter de l’omniscience paradivine du Téléviseur ? Et ta conscience citoyenne, espèce d’incivilisé ! As-tu fait tes prières sanitaires ? Ton allégeance quotidienne au Virus ? Comme tu es sage… C’est bien, tu as mérité tes croquettes numériques. Tiens, avale tes cachetons. As-tu au moins un nom ? Je ne m’en souviens plus.
Ce que vous êtes sexy, avec vos mumuselières à pointes et à fleurs ! Au début, ça me filait la nausée plus que la trique de vous voir si dociles, maintenant j’ai comme des envies d’extermination. Il faut admettre que c’est assez particulier, tout de même, cette ambiance de bloc opératoire ou de backroom publique. Personnellement, en termes de tenue urbaine, je suis plutôt du genre classique indémodable, voyez. Mais comme les hasards de la vie sont assez bien foutus, c’est au carnaval des esclaves consentants que j’ai trouvé ma femme. L’une de ces demi-cinglées au visage dissident, entier et lumineux, du genre classique indémodable elle aussi. Excellent moyen de sélection affective que cette vaste opération d’asservissement des peuples.
Ma rebelle et moi nous sommes mariés clandestinement, sous un pont d’autoroute, en évitant la Police des Mœurs autant que la Police de l’Hygiène. Je te jure, on se serait cru dans un film de Bergman un peu raté. Il y avait là le camarade Iggy Pop, condamné à ne plus pouvoir cracher, de sa tendresse protopunk, sur son public de gentils emmerdeurs, quelques clodos rassurants, des cholériques qui s’ignorent et un petit vendeur de roses. Je me disais que ce gamin un peu plus malin que les autres incarnait la dernière forme de résistance sur Terre : fournir des roses aux amoureux réunis, c’était prendre parti pour le sentiment, et le sentiment était le combustible du coup d’État à venir. Sans réellement le savoir, il entretenait l’espoir des dynamiteurs solitaires qui erraient ici et là à la recherche de sens ou de coordinateur. Un jour tu seras un homme mon fils.
Comme toujours, je n’ai pas joué le jeu. Orgueil mal placé ou simple intuition préhistorique ? Moi l’irresponsable, l’inconscient, le sauvage, la justice m’a condamné pour antiterrorisme épidémique et mots d’esprit non référencés. On m’a assigné à résidence, quelque part dans la Tadrart Rouge, avec injonction thérapeutique à mes frais : deux petites infirmières des Renseignements Généraux, un peu trop sérieuses à mon goût, sont tenues de m’astiquer régulièrement la queue au gel hydroalcoolique pour prévenir toute tentative d’insurrection, celles-ci se servant à leur tour de mon engin échauffé comme d’un aseptiseur intime. Révoltant, n’est-ce pas ? Ça vous calme un homme, mais quand même, faudrait pas me prendre pour un con. Hé, j’ai une jeune mariée à honorer un peu plus soigneusement que ça.
J’étais fier de moi, on peut le dire : j’avais gagné ma place dans le désert. Jamais je n’avais connu d’âmes plus libres, plus riches et plus apaisantes, que celles de ma nouvelle tribu touareg. Là encore, la sélection s’était faite par la force des choses ou par l’exigence de la nature. Cette nature élitiste, insolente et primitive, à laquelle seuls les plus courageux et les moins envieux pouvaient accéder. Nous n’avions rien, et c’est bien cela qui importait : ne rien avoir. Pas même la possibilité d’avoir. De savoir. Non, rien. Rien que l’amitié des hommes, le silence ancestral et les splendeurs abruptes du Tassili. Je n’en voulais à personne, non. Pourquoi perdre ainsi son temps ? Après tout, les toilettes sèches, comme pour le reste, ça n’est qu’une question d’habitude.