Le Passe Muraille

Un chant d’amour pour Haïti

À propos de L’énigme du retour de Dany Laferrière,

par Luisa Campanile

Il y aura pour Haïti l’avant et l’après 12 janvier 2010. Une blessure de plus, encore une fois profonde, pour un des pays les plus pauvres du monde. Pour le romancier canadien d’origine haïtienne, Dany Laferrière, ce pays n’est pas une malédiction vivante, mais avant tout une concentration incroyable d’énergie vitale. En témoigne avec force et grâce son livre: L’Enigme du retour.

Les êtres humains, la vérité d’un pays…

«La nouvelle coupe la nuit en deux», le père qui meurt cette nuit-là et le brusque retour au pays après 2 ans d’exil. Le choc est une constante de ce voyage, la forme du dernier roman de Dany Laferrière.

Et pourtant ce pays est encore aimé, les liens essentiels y sont encore vivants: sa mère restée à Piétonville malgré l’exil du père à new York, son neveu qui est le dépositaire malgré lui de cette tradition, il se prépare lui aussi à partir, sa sœur. Et bien sûr, les amitiés artistiques, la foule des petites gens. La masse mouvante des rues de Port-au-Prince ou de Petit-Goâve, comme les membres de la famille proche ou élargie, est, pour Dany Laferrière, «le seul baromètre encore fiable pour savoir où est la vérité d’un pays surtout quand la dictature et la misère exténuent, saignent ce pays».

Une vérité que le lecteur, face à la diversité des rencontres proposées et à l’intensité émotionnelle qui les accompagne, construira seul, à la fin du voyage, avec entre les mains l’impossibilité d’en saisir le sens global. À croire que L’Enigme du retour n’appelle pas de réponse.

C’est alors que les paradoxes émergent, clairs et sereins: ce n’est pas le corps du père qu’il faut ramener au pays, mais l’esprit; la tristesse d’un deuil ou l’effroi né du spectacle de la violence quotidienne sont sources d’un supplément de vitalité. Est à relever encore cet autre paradoxe: celui de parler si intimement de l’exil et, de cette position de grande solitude, pouvoir partager jusqu’au silence.

Une voix libre

C’est avec une précision rare que Dany Laferrière crée ses images, une précision qui ne saurait trouver un si haut degré d’élégance et de légèreté sans l’expérience d’une réelle liberté intérieure. Cette liberté est, avant d’être celle d’un artiste, celle d’un homme qui porte en lui l’héritage de la dictature dont il a fait un style «tout court»: «Le dictateur exige d’être au centre de notre vie et ce que j’ai fait de mieux dans la mienne c’est de l’avoir sorti de mon existence…»

L’auteur connaît le prix de cette liberté et c’est sans détour qu’il écrit: «J’avoue que pour ce faire il m’a fallu jeter parfois l’enfant avec l’eau du bain.»

Exprimée par fragments – Roland Barthes aurait certes apprécié le travail de mémoire de Dany Laferrière, un travail qui se fait par fragments, où la discontinuité permet de faire place à ce qu’il y a entre les mots parce que «c’est pas si facile que cela d’être au même endroit que son corps. L’espace et le temps réunis.»

Haïkus, narration, dialogues, petits poèmes en prose, se succèdent avec une fluidité surprenante. Dany Laferrière fait un travail de mémoire qui laisse penser que cette dernière, la bouée de survie de l’homme contemporain, doit avant tout s’amuser pour que la vie, aussi tragique soit-elle, continue.

L.C.

Dany Laferrière. L’énigme du retour. Grasset, 2010.

(Le Passe-Muraille, No 81, avril 2010)

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