Comme une lecture du monde à voix haute et le pied-léger…
À la découverte de Marc Roger, marchons, marchez !
par Francis Vladimir
« Le littoral est une terre et une mer qui doutent comme un miroir où le reflet n’existe pas. »
« Le sentiment du littoral est nôtre, une impression humaine, un sentiment mêlé de joie, d’angoisse, de poésie, d’espoir, de peur, chacun à sa mesure dans cet espace où le mouvement dessine une avancée minime. » (Marc Roger)
Marc Roger est né pour lire. Marc Roger est né pour marcher. Marc Roger est né pour écrire. Cette trinité ne saurait se suffire à elle-même et nous y ajouterons donc que Marc Roger est né pour aimer. Et il nous en administre une nouvelle fois la preuve par 48 puisque son livre relate son périple de 5000Km sur 48 semaines et 48 auteurs, autant dire une année pleine, tout du long de la diagonale ou méridienne qu’il s’est fixée des hauts de Dunkerque à Hendaye (16 décembre 2023, terme du voyage), par les chemins de grande randonnée. Pour qui connaît Marc Roger, lecteur public, haut en voix et en clameur des mots, héraut des livres, fol en joie et porte-voix des écrivains multiples et divers, des plus connus aux plus intimistes, à l’allure d’huluberlu réchappé des grands chemins, de chemineau « perché sur son GR 34 »(p180), en nomade des grands espaces et des beauxtextes, on se rendra à l’évidence qu’il est un énergumène de la plus rare espèce, contre vents et marées, un homme sous emprise, shooté aux livres, aux textes, aux bourgeons des mots et aux feuilles tombées des arbres qu’il ramasse à la pelle au gré du temps, de l’humeur du jour, du soleil levant et du jusant. Cette équipée maritime qui s’est faite en 2023, road-movie par grands vents, par mouillures, par envasement, au soleil tapant et à la pleine lune, demandait un accompagnant, suiveur et ouvreur solide et de confiance. Ce sera Captain Tom, revenu des Caraïbes, en année sabbatique, (lire les chapitres « Captain Tom » et « Oleg est mort » pour en savoir plus, mesurer l’attachement filial du fiston, l’amour retenu d’un père) avec son Nautilus, le camping-car, la caravane solitaire qui suit et précède d’étape en étape. Bref on se doute que logistiquement parlant c’est un travail de fourmi ou de titan qui aura été fait en amont pour baliser soutiens, cheminement, rencontres et lectures.
« Lire à voix haute est une affaire de contrebande. ( p204) Ma lecture achevée, je ne peux reprendre immédiatement la marche. Partir en mer ou lire sont du même ordre. Il n’y a pas d’heure pour le retour. Un livre, un autre, un autre encore ». (p205) On imagine bien que la voix porte, que le souffle tel le vent venu du large se fait porteur des mots et de la phrase, que l’émotion ou la colère naissent de cette manière-là que le griot a de faire lever la pâte, son adresse aux écoutants, à ceux qui très modestement se seront arrêtés ou se seront donnés rendez-vous avec l’insolite présence d’un homme hors norme, hors du commun, un vrai de vrai. Car Marc Roger en plus d’être le sorcier des mots, le sourcier des textes rares, signe ici et confirme avec ce très beau livre, au symbolisme réaliste, poétique et désarmant ( la citerne de Marvao p50), tout pétri de chaleur humaine, d’empathie et d’amitié pour les gens, la nature et la mer ( Merci à la mer d’exister P72 – dédicace de Cécile Carbonnier à l’auteur, pour son « petit guide du bord de mer »), son statut d’écrivain. Le livre ressemble au flux du jusant, tout en miroitements où vécus et souvenirs déposent par strates, en pensées et constats, la longue marche à la bordure de l’atlantique, là où la mer s’arrête. « Il restera la mer, quand même. Et puis la lecture. Un homme, un jour lira. Et puis tout recommencera (dédicace à Corinne) … Regarder la mer, c’est regarder le tout. Et regarder le sable, c’est regarder le tout, un tout. C’est à Trouville que j’ai regardé la mer jusqu’au rien. » (p.82 – Marguerite Duras). Lire le sentiment du littoral c’est accepter et vibrer à l’invitation au voyage de Baudelaire, le formidable challenge, pour utiliser un mot qui fait frémir, d’oser s’affronter à ses manques, ses absences, ses blancs, ses vides abyssaux mais aussi ses trop pleins, tellement Marc Roger a l’art consommé et facétieux et grave de nous faire écouter les auteurs des marges et nous faire partager ses rencontres en pays côtiers et son amour de la nature. On ne sait ce qu’il faut louer le plus dans ce livre. De la force d’âme et de corps face aux intempéries de saison, de l’état des lieux (Voyage à Poubelle-Plage d’Elisabeth Brami et Bernard Jeunet p.59), du partage impromptu avec les gardiens sauveteurs des territoires, de l’échange livresque avec les curieux d’une part, les chalands nonchalants et les amoureux du livre d’autre part, les pincements au cœur, en rappel, dans les moments d’indifférence et de cruauté gratuite où tout semble devoir avoir foiré (Printemps 2014. Médiathèque en banlieue parisienne : Nous poursuivons notre balade avec Mohamed Choukri, autre auteur marocain, et sa nouvelle –« les enfants ne sont pas toujours fous »- ; avec Emmanuel B. Dongala, un auteur de la République du Congo, et un extrait de son roman – « Les petits garçons naissent aussi des étoiles » -. Mes lectures, nos arrêts et nos lâchers de livres se poursuivent de manière conviviale et légère sans deviner la terrible surprise que certains nous réservent au retour. La vingtaine de livres déposés, là, au hasard d’un abribus, ici, sur une murette, ont été déchirés et s’éparpillent au vent des rues – p181 », de tous les souvenirs d’hier et ceux en train de se dessiner au gré des côtes successives toutes en valleuses et abers, car tout finalement est source d’étonnements et de découvertes. Un périple, aussi, engagé pour le bien public, la protection de l’environnement, pendant lequel l’auteur aura récolté trois kilos de déchets par jours, et relevé les traits de côte, là où la mer monte au plus haut, à photographier, à transmettre à la Surfrider foundation.
Mais le livre de Marc Roger ne serait pas tout à fait ce qu’il est, c’est-à-dire un livre poignant et un livre du large, un livre des côtes soufflées par les vents d’où l’on regarde l’horizon infini, un livre refuge où l’on accoste, où l’on s’amarre pour y retrouver les raisons d’espérer, un livre tout bonnement qui nous prend par la main pour nous accompagner quelle que soit la destination que l’on veuille bien se donner, s’il n’y avait cette source ineffable de bien-être qu’il procure, en béatitude nécessaire et en lucidité têtue. Le livre décline toute une partition écrite qui rend hommage à des écrivains majeurs, exprimons-le ainsi, et l’on songe à Prévert, à Saint-Pol Roux ( dont la destinée se sera apparentée à un martyrologue), à Benoîte Groult, à Marguerite Duras, à Marcel Proust, à Paul Claudel, à Louis Guilloux et à son professeur de philosophie Georges Palante, à Georges Perros, à Pierre loti, à Jack et Charmian London, à Ray Bradbury, à Jules Verne… autant d’amers et d’invites à découvrir et redécouvrir des textes intemporels, des titres magiques, qui n’ont pas pris une ride, qui toujours rebondissent au gré des époques et de nos faillites mais aussi de nos émois et de nos émerveillements. Marc Roger chapeaute le tout des rencontres humaines, dans la simplicité des êtres, de la première à la dernière page, en écho à ses élans de cœur et d’esprit, et c’est ce qui donne au livre sa tessiture de laine écumeuse, de sel ratissé, cette chaleur blanche intérieure en dépit des marées et des vents de force… tant de gens croisés sur son long passage, sa traversée onirique et vitale d’un espace maritime qui, des chantiers navals à la pêche en haute mer pour l’âpreté de l’existence, n’en est pas moins un bien à préserver, un trésor pour les âmes, pour se relever de nos ruines en vue des lendemains qui pourraient se remettre à chanter.
Le lecteur, lui, le quidam qui aura lu son livre, pourra se sentir moins seul, moins perdu et giflé par les adversités car les vents contraires peuvent mener à des rivages insoupçonnés et la littérature et l’art, de manière plus englobante, y contribuent de cette manière si intime qu’ils en deviendraient presque rassurants. De cet éphéméride que nos ancêtres défeuilletaient, jour après jour, nous restent vivaces aux lèvres, aux yeux et à l’ouïe, le goût de la marée, de lichens, la chanson des vents, le camaïeu des couleurs, les contours des paysages, les baies, les côtes édentées, le sable du soir, les estuaires… et la nature humaine avec des morceaux et des délires de vies ( amis, famille, ouvriers, le chaudronnier Louis Oury, pêcheurs, l’institutrice de CM2 Mme Labbé… tout un kaléidoscope humain de figures d’hier et d’aujourd’hui, sans oublier les petits directs radio hebdomadaires pour suivre le petit poucet de l’océan, ce deuxième poumon de la terre), tout un monde donc qui ne s’en laisse pas conter, par la rudesse et la tendresse, vertus inséparables, manière de regarder devant soi sans jamais fermer les yeux, au contraire les garder grands ouverts pour qu’adviennent et se rencontrent nos humanités profondes, celles qui réparent et nous emmèneront un peu plus loin dans le voyage. Et pour clore ce balbutiant rendu de lecture, recommandons en page 277, Le sentiment du littoral entre la terre et l’océan : « Les soirs d’orage, de longues traînées de pluie descendent des nuages dans un mouvement de voile sur la mer. Des orgues de lumière dorée percent des cumulonimbus pansus, joufflus, ou des nimbostratus ventre collé aux flots pailletés d’argent, d’or ou de bronze, et ces orgues rejoignent les vagues, identiques à ces gloires que l’on peint au plafond des églises. » Et cette vision captée et empreinte d’un mysticisme silencieux et mystérieux n’en est pas moins promesse d’un possible différent de celui qui se délite, jour après jour, dans la tourmente. En dépit des vents mauvais et des tempêtes annoncées, nous nous reconnaîtrons bien dans ce sentiment-là du littoral, dans la mémoire et la mer, la chanson déferlante de Léo Ferré (P154). Et c’est bien de cela dont il s’agit à lire Marc Roger dans son dernier opus : boire la tasse des mots aux rugissements des vagues et au timbre de sa voix mêlés et que l’esprit et l’eau (p53) se retrouvent pour le meilleur et non le pire.
Francis Vladimir
Le sentiment du littoral de Marc Roger aux éditions de la Grange Batelière – (2025) 290p.